Cet article est la seconde partie d’un dossier consacré à la base 5 de l’ennéagramme. Si vous n’avez pas consulté la première partie, je vous commande de cliquer ici avant de lire le texte ci-après.
Les flèches du 5 : intégration et désintégration
Il y a une logique dans la dynamique d’intégration et de désintégration du 5. Pour vérifier si l’on est concerné par cette dynamique, il ne suffit donc pas de reconnaître en soi des traits de personnalité pouvant s’apparenter à du 7 ou du 8. (Si on part comme ça, je peux vous affirmer que je suis en base 9 ! Eh oui, parce que quand ça va pas je deviens anxieuse comme un 6 et quand ça va bien je deviens très productive comme un 3. Imparable. En plus je suis un peu timide, il vous faut quoi de plus. Je fais aujourd’hui rayonner mon énergie de 9 sur cet article, c’est cadeau.) La première chose à faire est de comprendre comment l’énergie du 7 et du 8 interagissent avec avec celle du 5.
Au niveau des flèches, j’adhère à l’école française intégrant les sous-types alpha et mu. Cela signifie qu’il y a deux sous-types au sein de la base 5. Le sous-type « alpha » désigne les 5 avec un centre émotionnel en soutien et un centre instinctif réprimé. Ce sont des 5 relativement bien connectés à leurs émotions, mais qui évitent d’interragir avec l’environnement et ont tendance à se bloquer dans leur tête. Les 5 alpha s’intègrent en 8 et se désintègrent en 7. Le sous-type « mu » désigne les 5 avec un centre instinctif en soutien et un centre émotionnel réprimé. Ce sont des 5 assez conscients de leur corps et capables de s’ancrer dans l’action quand il le faut, mais qui ont du mal à appréhender leurs ressentis et ceux des autres. Les 5 mu s’intègrent en 7 et se désintègrent en 8. Je vais aborder les deux cas de figure.
Note : dans la pratique je considère qu’on peut prendre les bons et mauvais côtés du 7 et du 8 quel que soit le sous-type : les variantes alpha/mu désignent plutôt une tendance dominante.
- Les flèches du 5 alpha :
Le 5 alpha (généralement celui dont on parle dans les descriptions quand le sous-type n’est pas précisé) s’intègre en 8 lorsqu’il est épanoui. Cela correspond à une connexion avec l’énergie viscérale qui lui fait habituellement défaut. Son ventre est comme rempli, une sensation de puissance gagne son corps et procure une agréable bouffée de confiance en soi. (Qui, contrairement à l’énergie d’une base 8, ne sera pas présente en excès mais juste au niveau qu’il faut pour que le 5 soit bien.) Dans cet état, le 5 active beaucoup plus facilement son centre instinctif, d’ordinaire réprimé. Il parle plus fort, ose s’impliquer dans l’action et n’a plus peur d’exprimer son opinion. Et pour cause : grâce à l’énergie du 8, il se sent parfaitement capable de défendre son territoire et ne craint plus ainsi d’être envahi ou vidé. Maintenant, c’est lui le patron.
Le 5 alpha se désintègre en 7 lorsqu’il va mal. Là où le 8 vient combler son vide intérieur, le 7 l’élargit et le rend encore plus avide de ressources. Dans cet état, le 5 ressent une urgence à se remplir. Il part en quête furibonde et désordonnée de stimulations pour ne pas faire face à ce trou béant qui le dévore de l’intérieur. Cela peut se traduire sur le plan physique (appétit d’ogre, addictions, besoin immédiat de dépense physique, achats compulsifs – notamment de type « collectionnite »…) comme sur le plan mental (recherche éperdue d’informations, d’interactions… sur lesquelles il est incapable de se concentrer, car le vide revient déjà et il doit trouver de nouvelles choses à dévorer !). Il peut aussi prendre le côté narcissique du 7 et essayer d’attirer l’attention sur lui, afin de générer des stimuli… bien qu’il déteste en même temps le faire et ne fasse que renforcer son stress. Dans cet état, le 5 est comme aspiré dans une boucle infernale tournant à 500 km/h. Malgré son épuisement, il n’arrive pas à stopper sa frénésie : ce serait perdre du temps et manquer toutes ces occasions de se stimuler encore ! Sur plus long terme, la désintégration en 7 peut prendre la forme d’une vision hyper-rationnelle de la vie, avec une coupure émotionnelle et des idées fixes souvent morbides.
- Les flèches du 5 mu :
L’ennéatype 5 évite inconsciemment de se créer plus de besoins qu’il n’en a déjà. (Afin de ne pas avoir plus d’énergie à investir.) Ainsi, il comble ses besoins d’ordre mental et tend à faire passer à la trappe ce qui concerne d’autres champs, comme son bien-être corporel. Le 5 mu est moins concerné que le 5 alpha par ce problème, car lorsqu’il est épanoui, il entre au contact de l’énergie du 7. Il développe ainsi un élan d’exploration et une plus forte préoccupation pour son plaisir immédiat. Il identifie les activités qui lui procurent de la joie au quotidien et apprend à s’y consacrer sans que sa compulsion ne se déclenche. Plutôt que de les voir comme une perte de temps, qu’il pourrait passer à nourrir son centre mental, il en prend soin et les estime importantes pour son équilibre. Etant un ascète naturel, le 5 intégré en 7 pense en général qu’un plaisir est d’autant plus précieux qu’il a du sens pour l’individu (de par sa rareté, l’effort requis pour l’obtenir, etc.) : contrairement à un vrai 7, il a donc peu de risque de tomber dans l’excès. En allant vers le 7, le 5 mu devient aussi plus détendu, enthousiaste et spontané en compagnie des autres.
La répression du centre émotionnel à tendance à changer le 5 mu en boule de nerfs. S’il n’a pas l’occasion de se « décharger » sainement, il peut adopter des conduites extrêmes quand la soupape cède. Lorsqu’il se désintègre en 8, les émotions contenues en lui explosent ainsi sous forme d’agressivité. Il peut entrer dans une colère incontrôlée et spectaculaire, ou bien lutter pour garder le contrôle et emmagasiner encore plus de stress (ce qui ne fera que retarder l’explosion, et nuire à sa santé sur le long terme). Sa vision du monde devient manichéenne et il émet des jugements expéditifs sur les objets de sa frustration. Il peut également s’imaginer que le monde s’est ligué contre lui pour lui faire perdre son temps ou envahir son espace vital. Sur le long terme, le 5 désintégré en 8 devient confrontant et éprouve le besoin d’écraser les autres pour démontrer sa supériorité intellectuelle.
Les ailes du 5
L’aile nuance la personnalité de l’individu en empruntant des traits à l’un des ennéatypes adjacents (pour le 5, ce sera le 4 et/ou le 6). Ces traits servent généralement les intérêts de la base, mais peuvent aussi ajouter à la problématique centrale des problématiques de la base voisine. Toutefois, le poids de l’aile n’est jamais supérieur à celui de la base principale. Notons aussi que dans certains cas, l’aile est très peu développée et l’individu incarne juste complètement l’archétype de sa base. Chez le 5, dans de nombreux textes, l’aile 4 est associée à une part émotionnelle et/ou artistique plus importante, tandis que l’aile 6 induirait un aspect plus pragmatique. Pour ma part, je trouve cette vision très réductrice et en contradiction avec l’école des sous-types alpha/mu. Le degré de proximité avec ses émotions dépend logiquement de la hiérarchie des centres et non pas de l’aile : en effet, un 5 alpha (centre émotionnel en soutien) peut très bien emprunter des aspects du 6 tout en ayant une part affective développée, tout comme un 5 mu (centre émotionnel réprimé) peut présenter des traits de 4 en les mentalisant complètement.

- Le 5 aile 4 : l’iconoclaste
Si les personnes en base 5 sont souvent assez atypiques dans leur manière de réfléchir, l’aile 4 renforce cet aspect. Elle vient greffer sur la base 5 des thématiques liées à l’expression de l’identité : authentique ou faux, compris ou incompris, original ou banal, etc. Plus fantasque que son cousin d’aile 6, le 5 aile 4 assume mieux de se montrer tel qu’il est en public. Il peut par exemple s’habiller de manière exubérante (après avoir étudié son style) ou aller travailler avec ses vieux pulls troués sans se soucier d’être mal regardé. Pour cette raison, le 5 aile 4 est parfois perçu comme irrespectueux ou provocateur, bien qu’il se contente généralement faire ce qui lui plait sans arrière-pensée. Il peut prendre plaisir à se spécialiser dans des domaines inaccessibles pour la masse, ou collectionner des objets rares qu’il va chasser comme des trésors (livres anciens, machines sophistiquées, pièces uniques de décoration…). Il semblerait que la plupart des 5 aile 4 aient un instinct Sx plus fort que leur instinct So, mais il n’y a pas de règle absolue.
- Le 5 aile 6 : le solutionneur
Le 5 aile 6 enrichit sa personnalité avec de nouvelles thématiques empruntées au 6 : vérité ou mensonge, confiance ou méfiance, en danger ou protégé, etc. Tout en conservant son indépendance naturelle, ce 5 ressent le besoin de s’intéresser à des communautés ou des idéologies, et parfois d’intégrer une « meute » sur laquelle il peut compter. Il prend plus en compte la dimension sociale dans ses raisonnements que son cousin d’aile 4 : ainsi, il a tendance à adopter une conduite plus consensuelle pour éviter de faire des vagues, bien qu’il s’indigne par ailleurs face aux injustices. Sa vocation est plus de produire des travaux d’utilité publique (à minima : utiles pour sa communauté) que d’inventer de nouvelles manières de faire. Il peut chercher à défendre les opprimés et développer des compétences d’auto-défense physique et intellectuelle pour se sentir plus en sécurité. J’observe que les 5 aile 6 ont généralement un instinct So plus fort que leur instinct Sx, bien qu’il existe sans doute des exceptions.
Note : les ailes ont une très grande variété d’expression. Ces descriptions généralistes n’ont pas pour vocation d’être exhaustives.
Idées reçues sur l’ennéatype 5
Pour finir, je tiens à revenir sur quelques points qui me semblent notoirement mal compris au sujet de la base 5.
« Une personne en base 5 est obsédée par le fait d’être autonome »
Alors oui, mais attention, c’est un peu plus compliqué que ça. Je m’explique : les personnes en base 5 ont un immense besoin d’autonomie, ceci est tout à fait vrai. Toutefois le 5 est autonome par essence : en temps normal, il n’a pas besoin de réfléchir outre mesure à cette problématique, étant donné qu’il fait inconsciemment en sorte d’être toujours indépendant. C’est déjà acquis, profondément gravé dans les rouages de son fonctionnement. En fait, la peur de perdre son autonomie concerne plus les personnes en base 6 ! Celles-ci cherchent en effet un équilibre entre leur besoin de s’appuyer sur une entité extérieure pour prendre des décisions (un groupe, un mentor, une idéologie…) et la peur de devenir trop dépendants, d’être trahis, manipulés, ou de ne plus pouvoir s’en sortir par soi-même. Parce qu’ils ont conscience de leur besoin de validation extérieure, les 6 sont d’autant plus inquiétés par le fait de perdre leur indépendance. Ainsi, si vous faites la comparaison, vous remarquerez que les personnes mettant fortement en valeur leur caractère autonome (ou leur peur de ne plus l’être) sont plus souvent en base 6 qu’en base 5. (Pour un 5, ceci est tellement évident qu’il ne pense pas à le mentionner, en général.)
Le rapport aux autres du 5 dans la problématique de l’indépendance est plus proche de celui du 9 (avec qui il partage la blessure de rejet) : comme le 9, le 5 pense que ses besoins et désirs représentent un poids pour les gens autour de lui. Il projette sur ses interlocuteurs son mécanisme égotique et croit ainsi qu’il envahit leur espace et leur en demande trop. Il ne devrait pas leur infliger cela et savoir se débrouiller tout seul. Là où le 9 essaye d’oublier ses besoins par la narcotisation et la fusion avec l’autre, le 5 fait en sorte d’assurer seul sa propre subsistance, en développant ses compétences. Si un paramètre incontrôlable (maladie, handicap, situation de grande pauvreté inopinée…) s’immisce dans la vie du 5 et l’oblige à s’appuyer sur les autres, il aura ainsi deux gros problèmes à résoudre : 1) Accepter que les ressources puissent être générées par autre chose que lui-même. 2) Accepter son propre droit d’avoir des besoins, des désirs, et de demander de l’aide. Globalement, le 5 luttera contre la croyance fondatrice de son mécanisme : « Le monde extérieur n’a pas de ressources à m’offrir ». Le 5 présente une incapacité profonde à envisager de s’appuyer sur l’extérieur, plutôt que d’une peur profonde que l’extérieur ne soit pas fiable (comme chez le 6).
J’émets l’hypothèse qu’une grande partie des mistypes sur l’ennéatype 5 viennent d’une mauvaise compréhension de la notion d’indépendance chez ce profil.
« Les personnes en base 5 ne sont pas très sensibles »
La plupart des descriptions sur Internet font passer les personnes en base 5 pour des robots. Moi-même, j’ai hésité à me typer 5 parce que je me sentais beaucoup trop sensible pour correspondre à ce que je lisais. En réalité, une personne d’ennéatype 5 peut être très délicate et émotive. (J’irais même jusqu’à dire que les gens en base 5 ont tendance à se sentir vulnérables et qu’on trouve chez eux une proportion importante d’hypersensibles – sur le plan sensoriel comme émotionnel !) Le fonctionnement du 5 n’impacte pas tant l’intensité des émotions, mais la manière de les traiter. Le 5 compartimente les aspects de son existence et de son monde intérieur, afin de pouvoir larguer un compartiment défectueux en cas de besoin tout en préservant les autres. Etant donné que le compartiment « maison » est son mental, il n’est pas directement au contact de sa part affective : il ressent ainsi les choses en différé. Concrètement, dans la majorité des cas, l’émotion n’apparaît pas au moment de l’événement déclencheur (une dispute, une surprise, etc.), mais quelques temps après, une fois que le 5 est seul avec lui-même. A ce moment-là, il peut quitter son mode analytique ordinaire et se laisser complètement aller à son ressenti. Voilà pourquoi il ne faut jamais exiger du 5 une réaction affective immédiate : son tempo naturel ne le lui permet pas. Une telle demande ne fera que le stresser et l’inciter à se fermer encore plus.
Les émotions ne sont pas la langue natale du 5, habitué à porter son attention sur la compréhension du monde extérieur. Cependant, certains 5 (y compris des mu !) parviennent à avoir une lecture très pertinente de leur vie intérieure en compensant avec leur centre mental : par exemple, en étudiant la psychologie ou les neurosciences. Soit dit en passant, bien qu’on associe souvent le 5 à l’archétype du matheux, on trouve parmi les 5 un grand nombre de profils artistiques et littéraires. L’idée reçue comme quoi les 5 seraient peu sensibles vient sans doute du fait que les textes sur l’ennéatype 5 ne sont généralement pas écrits par des 5. La description correspond donc davantage à ce que le 5 renvoie socialement qu’à ce que le 5 vit dans son intimité.
J’espère que cet exposé sur l’ennéatype 5 était clair et complet, et vous aidera à mieux comprendre le fonctionnement de cette base. Je vous invite à lire mon analyse du personnage de Nanachi, ainsi que celle de Shino Asada (aka Sinon) si vous souhaitez voir des mises en pratique des mécanismes du 5.