L’ennéagramme, malgré sa présentation simple, et un modèle extrêmement complexe à aborder. (Bien plus que le MBTI, à mon sens.) Des années de travail, d’observation et d’échanges sont souvent nécessaires pour le maîtriser correctement. Quand je relis mes articles sur le sujet, je les trouve imprécis et relativement clichés. Finalement, il n’y a que la base 5 (parce que je la vis en plus de l’observer) que je pense pouvoir expliquer de manière vraiment juste et complète. Cela tombe à pic puisque apparemment, le monde de la psychométrie amatrice francophone en a besoin. C’est parti !
On fait n’importe quoi avec l’ennéatype 5
Bon, on fait n’importe quoi avec l’ennéagramme d’une façon générale, entendons-nous bien… Toutefois, j’ai la sensation que l’ennéatype 5 est particulièrement victime de la confusion entre comportement et motivation au sein de la communauté MBTI/ennéagramme. Une grande partie des personnes se déclarant en base 5 (et croyez-moi j’en ai croisé un sacré paquet) s’identifient à ce profil pour de mauvaises raisons. Leur croyance se fonde sur une compréhension floue de cet ennéatype doublée d’effet Barnum.
Voici donc un récapitulatif des points qui ne définissent PAS l’ennéatype 5, mais qui servent quand même massivement d’arguments pour se typer 5 :
– Être introverti, c’est-à-dire perdre de l’énergie au contact du monde extérieur (interactions sociales, stimuli de l’environnement…) et regagner de l’énergie au contact de son monde intérieur (activités solitaires, temps passé au calme…), ce qui implique souvent un cercle social restreint et une tendance à rester cloitré chez soi le week-end. Environ 50 % de la population est introvertie. Jusqu’à preuve du contraire, il n’y a pas 50 % d’ennéatypes 5 au sein du genre humain. En plus, il y a des 5 extravertis, mêmes s’ils sont minoritaires.
– Adorer apprendre, voire mettre le savoir au centre de sa vie. Le 5 fait effectivement cela, mais pour des raisons bien spécifiques. Tous les autres ennéatypes peuvent accorder une place primordiale à la connaissance dans leur vie, pour d’autres raisons liées à leur propre mécanisme. Je suis au regret de vous informer que tous les professeurs et chercheurs de la planète ne sont pas en base 5. (Et heureusement pour nous.)
– Être analytique, passer son temps à observer le monde pour essayer de le comprendre. Pour rappel, il n’y a pas un mais trois ennéatypes avec un centre mental dominant, et le 5 n’est pas le seul à posséder un cerveau fonctionnel. Plus largement, chaque ennéatype peut être fortement analytique à sa façon et pour servir ses intérêts.
– Être timide, phobique social ou plus ou moins autiste. Tous ces traits renvoient à des conditions ou pathologies qui peuvent se retrouver dans toutes les bases. (Je sais, je me répète… c’est pour toutes les fois où des gens ont oublié d’y penser.)
– Avoir un « vide intérieur ». Alors là, les amis… c’est la foire à la saucisse. Open bar, tout y passe, on se croirait dans un meeting d’extrême gauche. Le vide intérieur du 5, tout le monde témoigne en être victime mais personne n’a l’air de savoir ce que c’est exactement. Ça tombe bien, je vais vous l’expliquer plus loin dans l’article. (Spoiler : c’est un peu plus spécifique que la vague mélancolie de vivre dans une société matérialiste, consumériste et superficielle, qui nous assure qu’on sera enfin heureux en achetant toujours plus de merdes fabriquées dans le tiers-monde pour nous donner une illusion de contrôle sur notre existence dénuée de sens. Et ça n’a rien à voir avec votre dernière rupture non plus.)
Du coup, si vous vous pensiez en base 5 en vous reposant sur ces critères, je vous informe que votre opinion ne se fonde sur absolument rien de crédible. Il va falloir recommencer tout votre travail de recherche et d’introspection, et arrêter d’aller dire à vos copains du groupe Facebook secret « INTJ Master Race » que vous êtes en base 5 car vous lisez des articles sur l’immunologie pendant vos pauses midi au lieu de regarder le foot en vous mettant les doigts dans le nez. Voilà. (Et avec des méthodes d’analyse aussi bancales il est fort probable que vous ne soyez pas INTJ non plus, mais une chose à la fois…)
Mais du coup c’est quoi, l’ennéatype 5 ?
C’est bien de se poser la question à un moment donné quand on cherche sa base ennéagramme, j’avoue. Je vais tenter ci-après de dégager l’essence de la base 5, les concepts qui font la moelle de son mécanisme égotique.
Le vide intérieur : de quoi parle-t-on ?
Il y a dans la pensée du 5 une omniprésence du champ lexical de la gestion de ressources. Donner ou ne pas donner. Révéler ou dissimuler. Economie ou gaspillage. S’investir ou rester en retrait. Se dépenser ou se reposer. Vide ou rempli. Assez ou pas assez. Se sentir aspiré, englouti, ou se sentir enrichi, renforcé. Etc. La nature des ressources varie selon l’individu (les connaissances, les compétences, les émotions, la force vitale…), mais le mouvement de l’énergie reste le même. Chez tous les 5, on retrouve la peur constante d’être dépouillé de ses ressources intérieures et ainsi démuni face au monde extérieur… un monde dont les exigences sont supérieures à la quantité de ressources que le 5 se sent capable de fournir. La rétention est donc nécessaire à la survie. C’est le fondement de sa compulsion : éviter le vide intérieur.
Le 5 remplace les moments où il pourrait s’offrir aux autres (en étant présent physiquement et/ou psychologiquement) par des moments où il continue de se remplir seul de son côté, sous prétexte qu’il ne contient pas encore assez de ressources pour faire face aux situations de la vie. (Par exemple : décliner les invitations à des événements sociaux car il préfère rester chez lui à lire des manuels de chimie.) Il croit qu’à force de se remplir, il finira par se sentir suffisamment bien préparé et pourra enfin apparaître au-dehors et agir. En réalité, le 5 ne se sent jamais suffisamment rempli… pour la simple raison que la seule chose pouvant combler réellement son vide intérieur se trouve dans le monde extérieur. Dans sa fixation de détachement, le 5 incarne ainsi l’avarice dans l’ennéagrame traditionnel, en accumulant pour lui-même sans faire profiter autrui de sa grande richesse. Il détient tous les savoirs possibles, sauf peut-être le plus important : la joie d’être en connexion avec ses pairs humains.
Voici une situation typique du quotidien d’une personne en base 5 :
« Tu viens danser avec nous, le 5 ?
– Non, je ne sais pas danser. (Je suis vide. Je ne peux pas donner de moi.)
– Ah mais ça fait rien, ça, on va t’apprendre ! Et puis on est là pour s’amuser.
– Je préfère vous regarder faire d’abord, pour comprendre comment ça marche. (Je me détache plutôt que de m’impliquer.)
– Tu apprendras bien mieux en essayant de danser avec nous !
– Ah non, ça me stresse, je ne maîtrise vraiment pas la danse, vous savez… (Je veux éviter le sentiment de vide lorsque je suis confronté à une situation que je ne maîtrise pas. Je vais plutôt acquérir les ressources de mon côté, ensuite seulement je me sentirai assez fort pour venir parmi vous et gérer la situation.) ».
Vous notez qu’à aucun moment dans cet exemple, le 5 n’a considéré qu’il pouvait obtenir les ressources manquantes autrement que par ses propres moyens. Ni qu’il pouvait dépenser de l’énergie sans raison apparente, juste pour s’amuser ou se défouler. Pourquoi nourrit-il donc cette croyance inconsciente que l’extérieur ne fait que prendre, jamais donner ? Il n’a pas identifié de figures nourricières étant enfant, ou bien celles-ci ne respectaient pas son espace vital et l’ont forcé au repli : l’idée d’en chercher ailleurs ne lui traverse simplement pas l’esprit. Pour s’épanouir, le 5 doit dépasser sa peur d’être débordé par les demandes et de se retrouver sans ressources. La tâche est difficile, car le vide intérieur provoque chez lui de fortes angoisses : c’est le travail d’une vie. Toutefois si le 5 y parvient, il découvre que l’environnement n’est pas qu’un gouffre aspirant son énergie, mais aussi un lieu généreux en ressources. Il accède alors à sa vertu, le désintéressement.
En temps normal, le 5 communique comme s’il se trouvait face à une interface de contrôle. Devant lui se trouvent des contenants, correspondant à chaque aspect de son existence : ses connaissances, ses émotions, des informations personnelles, les différents milieux qu’il fréquente… (Le 5 divise pour mieux régner. Ainsi, si un compartiment de sa vie est touché, les autres sont épargnés et peuvent rester fonctionnels.) En gardant un œil alerte sur l’état de chaque compartiment, il calcule ce qu’il va donner, ouvre et ferme méticuleusement les vannes pour laisser sortir les ressources choisies. Voilà ce qui donne le « traité », son style de communication signature : les fameux exposés un peu assommants, derrière lesquels il se cache pour éviter de s’impliquer de manière plus personnelle. Gare à qui oserait lui en réclamer plus ! Le 5 est le seul maître à bord, et fuit aussitôt qu’on fait mine d’aller trifouiller dans sa machinerie. En entrant en contact avec sa vertu, le 5 oublie un moment sa gymnastique mentale, ouvre son cœur et partage avec bienveillance ses connaissances et sa sagesse aux autres. Il aide spontanément ses congénères sans attendre de louanges.
Je viens de décrire la problématique centrale du 5. Elle concerne tous les individus en base 5, quel que soit leur type MBTI ou autres différences individuelles. Une personne qui n’a pas ce mécanisme au coeur de son existence n’est pas en base 5, peu importe combien elle est érudite et analytique par ailleurs. Dans la mesure où tout ce qui va suivre tourne autour du vide intérieur et sa dynamique spécifique, s’il n’est pas présent, rien ne peut tenir debout. Ceci dit, je vais maintenant détailler les nombreuses façons dont le mécanisme du 5 peut s’exprimer, en fonction des variantes instinctuelles, du sous-type et des ailes.
Les variantes instinctuelles du 5
Nous possédons tous trois instincts : l’instinct de conservation (qui se préoccupe de notre intégrité physique), l’instinct social (qui se préoccupe de notre intégration au groupe de pairs) et l’instinct sexuel (qui se préoccupe de nos relations intimes – y compris au-delà du cadre strictement sexuel). Ces instincts sont hiérarchisés selon l’importance qu’y accorde l’individu. L’instinct dominant constitue une préoccupation majeure et peut être source d’angoisse et d’excès. L’instinct de soutien est important, mais l’individu n’y porte pas un intérêt obsessionnel : le rapport à cet instinct est donc généralement équilibré. L’instinct réprimé tend à être délaissé par l’individu : il ne pense pas souvent à le satisfaire, mais n’y voit pas de problème… Chez l’ennéatype 5, l’instinct dominant détermine dans quel domaine la compulsion d’évitement du vide intérieur va se spécialiser.
- Le 5 de variante Conservation (Sp – pour « self-preservation »)
Chez le 5 Sp, la compulsion se manifeste surtout par une peur d’être vidé de son énergie vitale. Il a une peur viscérale d’être affamé, de manquer de sommeil, de gaspiller l’argent, de ne pas avoir assez de temps pour se reposer avant d’être de nouveau sollicité… Il cherche aussi à garder le contrôle sur son territoire : il craint particulièrement d’être cambriolé, qu’on touche à ses affaires, etc. Il est très difficile se faire sortir ce 5 de chez lui, dans la mesure où il réclamera des heures de récupération après chaque événement. Sa maison est un véritable sanctuaire où seuls quelques rares élus sont autorisés à entrer. Il accumule des ressources dans sa tanière (vivres, documentation, objets liés à sa spécialisation…), comme s’il se préparait à tenir un siège. On surnomme d’ailleurs ce 5 le « Château-fort ». Cette variante est la plus susceptible d’adopter un mode de vie ermite, préférant se retirer de la civilisation pour aller cultiver des radis dans une bicoque reculée que supporter la teuf hebdomadaire de son voisin du dessus.
Quand l’instinct de conservation est réprimé, le 5 ne cherche pas à avoir un sanctuaire dans lequel se réfugier, ni spécialement à développer des compétences de survie. Son avarice se traduit peu sur le plan physique : la rétention portera plus sur les connaissances et/ou les émotions.
- Le 5 de variante Sociale (So)
Les 5 ont tendance à exister socialement en tant que connaisseurs. Lorsqu’ils doivent communiquer, il est bien plus facile pour eux de livrer une information « neutre » que des éléments plus personnels ou leurs émotions. Chez le 5 So, cette dimension est particulièrement présente : ce 5 a un fort besoin de se montrer et d’être reconnu comme « Celui qui sait ». On l’appelle le « Totem ». Il essaye d’incarner une icône de la connaissance dans son domaine de prédilection. Pour rester en accord avec son mécanisme, il sélectionne un milieu où il va pouvoir jouer son rôle social à fond, en utilisant son dialecte spécialisé rassurant. Par exemple, un cercle d’universitaires ou un club de passionnés. Le risque est alors qu’il devienne discriminant vis-à-vis des profanes, jugés indignes de recevoir sa richesse intérieure. Il peut aussi se retrouver piégé dans l’image du savant et finir par devenir l’ombre de lui-même à force de répéter toujours les mêmes exposés. Ce 5 est le plus susceptible de devenir élitiste ou pédant.
Quand l’instinct social est réprimé, le 5 ne se préoccupe pas ou peu de sa place au sein d’une communauté. Il ne cherche pas beaucoup à partager son travail au-delà de son cercle intime, et son côté « hibou savant » peut être inconnu en-dehors de celui-ci.
- Le 5 de variante Sexuelle (Sx)
Si le 5 est un être secret, le 5 Sx en joue plus que tous les autres. Surnommé « Confidence-confiance », il parvient à concilier sa compulsion avec son besoin important de nourrir des contacts humains intenses. Pour ce faire, il utilise le retrait comme un moyen de s’entourer d’une aura séduisante : agir avec mystère la majorité du temps ne fait qu’accroître le panache des informations révélées ! Lorsqu’il est en situation de tête-à-tête, ce 5 fait comprendre à son interlocuteur qu’il est un privilégié : « Tu sais, je ne raconte ça à personne d’habitude, c’est la première fois que je me confie de la sorte. Il doit y avoir quelque chose de spécial entre nous, pour que je sorte de ma cachette ». Le 5 Sx est moins consensuel et prude que les autres. Il craint moins d’assumer son côté atypique, peut être assez provocateur et ouvertement jaloux.
Quand l’instinct sexuel est réprimé, cela donne un 5 qui semble un peu apathique et coincé. Il est embarrassé dans les situations de tête-à-tête, ne se sent pas concerné par les rivalités et ne cherche pas beaucoup à mettre sa personne en valeur.
Je vais clore ici la première partie de ce dossier. Pour consulter la seconde partie, qui porte sur les flèches d’intégration et désintégration, les ailes et les idées reçues sur l’ennéatype 5, cliquez ici.