Réflexions sur les fonctions cognitives

Intuition introvertie (Ni), transe et rituels

De nombreuses personnes au sein de la communauté MBTI s’accordent à dire que les INJ ont un regard caractéristique. A la fois évasif et très pénétrant, comme s’ils fixaient intensément quelque chose… dans un autre monde. (En ajoutant des sourcils froncés, on obtient le fameux « death stare » des INTJ.) Pour moi, il s’agit de l’expression que prennent les INJ lorsqu’ils sont occupés à contempler les mouvements abstraits que crée Ni à l’intérieur d’eux. Ils entrent et sortent de cet état second très naturellement, de nombreuses fois par jour, comme s’il leur était plus simple d’appréhender le monde en contemplant son reflet (flou, déformé… mais d’une façon qui a du sens pour l’INJ) qu’en l’observant directement. On saisit l’essence de leur personnalité en étant attentif à la manière dont ils manifestent ces ondulations désincarnées dans la réalité. Aujourd’hui, je vais décrire les aspects qui me semblent les plus primordiaux dans la relation qu’ont les INJ à leur fonction Ni.

Le cycle intuitif de l’INJ

Le cœur du fonctionnement des INJ consiste en la répétition d’un « cycle intuitif », ayant pour aboutissement la création de quelque chose. Une décision, une solution, une œuvre, une prise de conscience… quelque chose qui émerge du point le plus profond de leur monde intérieur, porteur d’une valeur symbolique particulière.  

Les INJ alternent entre des phases d’accalmie, où rien de particulier ne se produit dans leur quotidien, avec des phases exaltées, où ils vivent de grandes révélations sur des questions qu’ils laissaient mijoter dans un coin de leur esprit. La communauté anglophone emploie couramment le terme « insight » pour décrire ce phénomène. Quelle différence avec les classiques « eurêka » qui nous illuminent lorsqu’on trouve enfin la solution à un problème ? Ce phénomène, fruit d’un processus inconscient, arrive chez tous les êtres humains, après tout (puisque tout le monde possède une fonction N). Chez l’INJ, ces révélations s’inscrivent dans un procédé si important qu’il organise son existence autour d’elles. L’ensemble de ses actions et pensées sont reliées par un fil invisible à ce mécanisme central, fonctionnant toujours en arrière-plan de manière autonome. Il mobilise une grande partie de l’énergie du sujet, c’est pourquoi les INJ peinent à demeurer attentifs à leur environnement présent. Quelque chose attire sans cesse leur attention en-dedans… regarder ailleurs est vite fatiguant.

Chaque INJ aura une façon unique de vous décrire la manière dont il vit son cycle. Certains vous diront que, telle une marée montante et descendante, des expériences particulières tantôt viennent les frôler, charriant avec elles des murmures sublimes, tantôt s’en vont dans les profondeurs de leur inconscient couver d’autres joyaux. D’autres diront qu’ils plongent sans fin dans une fractale dans l’espoir d’en effleurer le noyau, et ont parfois la brève illusion d’y parvenir. D’autres décriront une couche infinie de masques sur leur visage, qu’ils ôtent les uns après les autres, sans jamais atteindre enfin le véritable « Moi ». D’autres, à l’instar de votre serviteur, se compareront à des reptiles. Parfois, je me sens à l’étroit dans mon être : j’éprouve un besoin urgent de grande transformation intérieure, comme si ma peau symbolique était devenue trop étroite pour accueillir cette nouvelle version de moi en train d’émerger en-dessous. Mon paradigme de pensée ne convient plus à ma survie dans le monde, je m’y sens étouffée, vulnérable, anxieuse… jusqu’au moment où enfin, l’enveloppe se craquèle puis se détache, laissant place à un nouvel écrin pour mon âme. Un nouveau paradigme s’ouvre à moi, plus complexe et plus beau. Je revis. Je suis forte. Et le cycle recommence. Je nomme ce processus ma « mue spirituelle ».

Ce qu’il faut en tout cas retenir, c’est que l’insight marque une rupture entre un ancien paradigme et un nouveau. Cette évolution par paliers permet de compenser le manque général de spontanéité et de capacité d’action physique chez les types INJ (Se inférieure). Ceci explique comment un INJ paralysé par un problème depuis un long moment peut envoyer valser d’un coup tous ses blocages : des rouages se sont brutalement mis en marche dans sa tête, tout lui paraît désormais évident ! Par effet papillon, un petit élément déclencheur peut engendrer une métamorphose intérieure extrêmement puissante… Peu importe la nature du trésor ramené à la surface lors de l’insight, celui-ci balisera, comme tous ceux qui l’ont précédé et ceux le suivront, la longue route linéaire que l’INJ s’évertue à suivre depuis sa tendre enfance. S’il n’est pas certain de tout à fait cerner ce qui l’attend au bout du voyage, sa boussole intérieure ne cessera jamais de pointer dans cette direction. Rien ne peut arriver de pire à un INJ que de ne pas savoir où il va : s’il perd contact avec Ni, il perd également sa raison de vivre et ses facultés d’adaptation au monde ! Il se sent vide, impuissant, angoissé…

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Le concept des daemons de la trilogie His Dark Materials me paraît proche de ma fonction Ni : un guide intérieur constamment présent, une part de moi et une entité distincte de moi à la fois… dans tous les cas, rien ne serait plus douloureux qu’en être séparée.

L’intuition introvertie détient une sorte d’autorité inflexible. Elle est comme une voix intérieure dont les injonctions incessantes doivent impérativement être suivies, sans quoi l’INJ finira par en souffrir. Les circonstances de la vie font qu’il peut arriver à un INJ d’être déphasé par rapport à ses aspirations profondes (exprimées par Ni), d’oublier le sens de ses choix ou d’être dans le déni de ses rêves. Son intuition le harcèlera jour et nuit jusqu’à ce qu’il retourne sur le droit chemin, tirant sur son âme jusqu’à ce qu’elle abandonne la lutte. Ce travail interne peut complètement épuiser l’INJ alors qu’il ne bouge pas de son salon. Beaucoup d’INJ en ont d’ailleurs conscience sans jamais avoir étudié le MBTI, et l’interprètent à travers d’autres grilles de lecture. Ils voient en Ni un ange gardien, un dieu ou un patron de sorcellerie, qui s’adresse à eux dans une langue abstraite, et les protège tout en leur soumettant des ordres. Les INJ, qu’ils soient croyants ou non, se sentent souvent comme les disciples de quelque chose de plus grand qu’eux.

La chanson « Into the Unknown » de Frozen 2 (« Dans un autre monde » en VF) illustre très bien ce phénomène. Elsa (INFJ), entend une étrange voix l’appeler. Elle sent que cette voix veut la mener loin du château, où elle obtiendra des révélations primordiales sur l’origine de sa magie – c’est-à-dire, le cœur de son identité. La jeune reine tente d’abord d’ignorer cet appel, de résister à tout ce qu’il éveille en elle… Elle craint en effet de mettre en danger ses proches et de perdre ce qu’elle a lutté pour construire, à savoir un cadre stable et heureux. Au fil de la scène, son chant s’aligne progressivement sur celui de la voix, jusqu’à ce qu’elle finisse par totalement l’accepter et la suivre. Elsa déchaîne alors autour d’elle des arabesques magiques, vibrant au son des deux voix réunies. S’il est commun de voir des princesses Disney s’épancher mélodieusement sur un quelconque promontoire, déchirées entre l’envie de partir au loin et la peur de l’inconnu, le cas présent comporte une différence majeure : la voix appelant Elsa n’est pas un sentiment d’ennui ou de confinement nourrissant un désir de liberté (comme chez Ariel, Raiponce ou Vaiana, qui souhaitent explorer le monde extérieur par simple amour de la découverte), mais plutôt le reflet de son inconscient, une part égarée d’Elsa cherchant à refaire corps avec elle. On y retrouve la réticence des INJ à oser s’investir dans un environnement imprévisible et effrayant (Se-inf), dépassée par la force mentale, onirique ou spirituelle de Ni, quand le sujet accueille cette part de lui.

La ritualisation de l’axe Ni-Se

Qu’il connaisse le MBTI ou non, un INJ mature ressent à la fois la nécessité de nourrir son intuition et de laisser respirer sa sensation. D’ailleurs, s’il s’observe avec détachement, il réalisera vite qu’une grande partie de son temps de veille consiste à maintenir un dialogue très précis et subtil entre Ni et Se.

La sensation extravertie détient une place à part entière dans les cycles intuitifs, puisqu’elle y intervient à la fois au commencement et à la fin. Elle apporte d’abord une multitude d’informations du monde extérieur, qui seront analysées et transformées à un niveau très abstrait. Les éléments épars et contradictoires recueillis vont tournoyer les uns autour des autres, se confronter sous tous les angles… puis enfin fusionner et former un tout nouveau concept, où la polarité est rompue et les points de conflit résolus. Ce résultat obtenu, Se donne à l’INJ l’impulsion pour extérioriser le fruit du processus, sous la forme d’un acte ou d’une œuvre. Néanmoins, la sensation reste soumise durant tout le cycle au rythme imposé par l’intuition : Se peut suggérer à Ni de nouvelles expériences enrichissantes, mais elle ne peut en aucun cas interférer avec les paliers les plus profonds du travail. D’où le désintérêt notoire des INJ pour le monde physique, leur tendance à être dans la retenue, et leurs réactions à fleur de peau lorsqu’un élément concret vient rompre brutalement le fil de leurs pensées. (Un bruit les faisant sursauter, un contretemps dont il faut s’occuper, etc.) Pour ainsi dire, l’environnement ne les touche jamais directement : la moindre information en provenance de l’extérieur doit passer par un nombre important de procédés abstraits avant d’être accueillie par l’individu.

De la même façon que les ISJ sont attentifs à leur confort physique et cherchent des repères sécurisants dans leur environnement, les INJ cherchent instinctivement un recoin de leur univers abstrait où activer des patterns qui les inspirent, les apaisent… Le tempo des INJ est lent. Peut-être le plus lent de tous les types MBTI. Ils ont besoin de temps pour intégrer les informations inédites, s’intéresser à l’inconnu, se décider à sortir de chez eux… Mal adaptés à la vie moderne, en particulier urbaine, ils ont constamment l’impression que tout va trop vite autour d’eux, qu’une ondée de détails et de sensations s’abat sur leur tête… Ils ne souhaitent souvent qu’une chose : ralentir, savourer le calme et le silence. Toute tentative d’accélérer ou de saboter le processus de Ni se soldera par une réaction négative de l’INJ. C’est comme si vous lui plantiez violemment un tournevis dans ses engrenages internes pour tenter d’en modifier la marche. Non seulement ils ne tourneront pas plus vite, mais en plus, ils arrêteront complètement de tourner, laissant l’INJ perturbé et endolori. (Le même phénomène s’observe chez les utilisateurs de Si lorsqu’on essaye de les forcer à adhérer à une idée éloignée de leur cadre de pensée.) Une personne ou un environnement provoquant régulièrement ce malaise chez l’INJ perdront sa considération, ainsi que l’honneur de sa présence.

Ainsi, comme leurs cousins sensitifs, les INJ éprouvent généralement un besoin – conscient ou non – de ritualiser leur vie intérieure, afin de mieux contrôler le flux d’information entrant et éviter d’être débordés par le chaos. La solution de l’INJ pour se laisser aller à sa fonction Se malgré le sentiment d’étrangeté qu’elle lui inspire, est d’intégrer dans son cadre de vie organisé quelques « fenêtres » par lesquelles son impulsivité enfouie pourra s’exprimer. Par exemple, il peut s’autoriser un petit plaisir à un moment précis de la semaine ou du mois (un jour associé à son plat préféré, un jour de shopping dans son magasin favori où il a le droit de craquer pour un article…), ou constituer un budget mensuel spécialement dédié à prendre soin de lui. Cette forme d’attention à soi est tolérée dans la mesure où elle constitue une exception confirmant la règle. L’INJ est en mesure de se connecter à ses besoins physiques immédiats car il est rassuré par une impression globale de contrôle et de profondeur abstraite.

En-dehors de ces soupapes « brutes », l’INJ laisse surtout Se exister à travers des expériences inductrices d’états modifiés de conscience (qu’on pourrait appeler selon le contexte « transe », « flow », « focus »…), en combinant attention au présent et exploration de l’imaginaire ou de la spiritualité : la méditation, les promenades en pleine nature, l’auto-hypnose, les arts plastiques, les arts martiaux, certains jeux-vidéos… Cette connexion est plus douce et diffuse, elle permet d’appréhender Se tout en restant blotti dans la zone de confort Ni. Il s’agit aussi d’un moyen très intéressant de fuir la sur-stimulation ambiante en concentrant l’attention sur des sensations plus confortables. Voilà pourquoi de nombreux INJ intègrent ces pratiques à leur mode de vie : ils peuvent entretenir grâce à elles leur équilibre intérieur, sans pour autant trop s’exposer à l’inconnu.

L’INJ conçoit ses actions comme un ensemble linéaire et cohérent, l’amenant d’un point A à un point B – son prochain insight. Lorsqu’il choisit de participer au monde extérieur, il s’engage dans une sorte de rituel, qui doit l’amener à des expériences précises (décidées inconsciemment) permettant la progression interne. Il faut bien retenir que durant une grande partie de sa vie (si ce n’est sa vie entière), l’INJ accède à Se uniquement à travers Ni. Par conséquent, lui seul peut décider de l’emplacement de ses « fenêtres Se ». Les choses matérielles en elles-mêmes sont rarement captivantes à ses yeux : s’il se laisse aller à bouger, toucher, jouer, acheter compulsivement, c’est en premier lieu parce qu’il ressent une connexion intuitive spéciale avec le moment (Ni). Il sent que le fil de son existence est relié à l’objet devant lui ou à l’activité qu’on lui propose : il y perçoit un potentiel de développement important, et lorsqu’il se projette dans l’avenir, il voit cet élément incorporé au décor. Sans cette sensation de lien intime, la fenêtre reste fermée et l’INJ ne voit qu’un spectacle chaotique dénué d’intérêt, si ce n’est terrifiant. Au mieux, il trouve que le divertissement est sympathique, mais ne mérite pas un investissement énergétique de sa part. En introduisant trop d’éléments imprévus, étrangers, l’INJ se sent projeté hors de son sentier intuitif : le rituel est brisé. Les bienfaits qu’aurait pu lui apporter Ni dans cette situation sont neutralisés, l’INJ perd ses repères et doit se réfugier au calme le temps de se réaccorder à sa vision conductrice.

Dans la majorité des cas, l’INJ sait déjà en arrivant quelque part ce qui va l’intéresser ou non. Deux cas de figure sont possibles : le premier est qu’il a étudié la question en amont et vient dans l’objectif de réaliser des actions prédéterminées. Vous aurez alors bien du mal à le détourner de son plan. Par exemple, si vous avez prévu une sortie au musée avec un INJ, il y a peu de chance qu’il accepte de prolonger le moment avec vous dans un bar si ce n’était pas prévu. (Au moins, évoqué en tant que possibilité.) Le phénomène est particulièrement visible chez les INJ en base 5, qui esquissent déjà un mouvement vers la station de métro la plus proche au moment où vous énoncez la proposition. (Un INJ 5 qui tolère les imprévus que vous lui infligez vous apprécie vraiment beaucoup. Et vous déteste, également.) Dans le second cas, l’INJ est présent car son intuition lui a simplement soufflé de venir ici. Il a cerné un potentiel dans une situation et vient inspecter les lieux pour apaiser ses flashs. Un INJ se présentant dans cet état d’esprit sera plus ouvert (d’autant plus qu’il a peut-être lutté un moment contre lui-même avant de se résigner), mais il aura toujours davantage confiance en sa propre intuition qu’en vos suggestions pour comprendre ce qui l’amène ici.

J’espère que cette analyse vous permettra de cerner – enfin ! – l’intuition introvertie, et la façon dont elle se manifeste dans la vie d’un INJ.